La Liturgie baptismale (3)
5. Le Baptême aux 3ème et 4ème siècles
Après les premières persécutions, surtout la persécution de Marc-Aurèle et de l’empereur Commode, à la fin du 2ème siècle, entre 185 et 250 environ, le christianisme, va connaître une période un peu plus calme pendant le règne de la dynastie des Sévère. Il y aura bien quelques persécutions sporadiques, mais rien de très systématique ni de très violent, si bien que les chrétiens sortent un peu de la clandestinité ; l’Eglise peut construire des bâtiments, des proto-basiliques et même, peut-être, des baptistères.
Pour cette période, nous sommes renseignés par deux auteurs importants : Origène et Hippolyte ; tous deux vraisemblablement originaires d’Egypte. Origène, on le sait, est né à Alexandrie ; Hippolyte est un personnage plus mystérieux[1]. On l’appelle Hippolyte de Rome, mais il n’est pas du tout sûr qu’il fut romain : il écrit en grec.
Ces deux auteurs disent à peu près la même chose ; la tradition semble donc bien assurée.
Le Catéchuménat d'après Origène
Origène est né en 185 à Alexandrie ; son père, Léonide, était catéchiste, ce qui prouve que cette fonction existait déjà dans l’Eglise. Il a été décapité pour fait de christianisme en 202. Origène avait 17 ans. Il est devenu chef de famille, et, comme les biens de la famille avaient été séquestrés par l’Etat, il a fallu qu’il travaille pour élever ses frères et sœurs. Il est devenu catéchiste à son tour, et par la suite, l’un des plus grands exégètes, le vrai fondateur de l’exégèse chrétienne. Il est l’auteur de commentaires bibliques et d’homélies sur la Sainte Ecriture, et c’est à ces textes que nous empruntons les passages qui nous intéressent sur le Baptême.
Dans l’homélie sur les Nombres, il cite les paroles, les gestes, les rites, et les interrogations qui ont lieu au Baptême. C’est la première fois que l'on voit apparaître le mot « interrogation » (en latin : scrutin). Il y avait donc une sorte d’examen. En effet, ce qui caractérise le rite du baptême aux 3ème et 4ème siècles, c’est l’organisation de la période d’enseignement préparatoire au Baptême. Cette préparation se trouve organisée de manière plus systématique.
Dans son livre sur Origène[2] le Cardinal Jean Danielou, écrit ceci : « Dans l’Eglise primitive, les païens qui désiraient se convertir allaient trouver un parent ou un ami, qui les instruisait et les présentait au chef de la communauté. » Cette habitude fait pressentir l’origine des parrains et marraines: le parrain (ou la marraine) était la personne à qui l’on s’était adressé quand on voulait devenir chrétien. Dans un texte très amusant, une sorte de parodie, Origène met dans la bouche d’un philosophe païen, Celse, - contre qui il a écrit un livre (Contra Celsum)-, les paroles suivantes : « Nous voyons dans les maisons des particuliers, des cardeurs, des cordonniers, des foulons, des gens sans aucune espèce d’éducation, ni de culture. Ils se gardent bien d’ouvrir la bouche tant que les maîtres, qui ont de l’âge et du jugement, sont là ; mais, dès qu’ils peuvent prendre à part des enfants, ou quelques femmes aussi dénuées de bon sens qu’eux-mêmes, alors, ils se mettent à leur raconter des merveilles… » Raconté par quelqu’un qui se moque des chrétiens, ce texte est intéressant car il nous explique comment le christianisme se répandait par le « bouche à oreille ». Les chrétiens se recrutaient dans toutes les classes sociales, les foulons et les cardeurs, sans doute illettrés, étaient les artisans les plus mal considérés dans cette société : aussi enseignait-on le christianisme par le prosélytisme oral, et pas seulement à cause de l’illettrisme.
Les parrains étaient également les garants de ceux qu’ils présentaient. Ils étaient responsables de la façon dont les nouveaux chrétiens allaient utiliser l’enseignement reçu.
A partir de ce moment, on formait des groupes, nous dit Origène. Ceux qui veulent entendre la parole vont venir régulièrement écouter un chrétien désigné pour cet office, qu’on appelle « catéchiste ». Le catéchiste, nous dit-il, ressemble un peu à ces philosophes ambulants qui ont des disciples qui les suivent partout. La différence, c’est que le catéchiste va se sentir responsable du progrès de ses brebis. Il ne va pas seulement se servir de ses disciples pour avoir un auditoire, mais il va les former individuellement pour qu’ils soient capables de progresser jusqu’au Baptême.
Il semble qu’il y ait eu deux grandes parties dans le catéchuménat. Il y avait, au début, un enseignement qu’on peut dire privé ; c’est-à-dire que le chrétien qui se sentait responsable du « nouvel appelé » lui faisait lui-même l’enseignement. Puis, on le remettait entre les mains d’un catéchiste « professionnel », celui qui avait été désigné par l’Eglise pour cette fonction. Ce catéchuménat, sorte de second degré, précédait immédiatement le Baptême.
Quel était le contenu de cette catéchèse ? Origène nous donne quelques détails, et il apparaît que le point le plus important était la conversion des mœurs. On y insistait beaucoup. Il fallait faire des progrès spirituels, mais aussi dans sa conduite extérieure. Voilà ce qu’il dit par exemple dans une homélie sur l’évangile de Saint Luc :
« Venez, catéchumènes. Faites pénitence pour obtenir le baptême en vue de la rémission des péchés. Si, en effet, quelqu’un vient au baptême dans des dispositions coupables, il n’obtient pas la rémission des péchés. C’est pourquoi, je vous en supplie, ne venez pas au baptême sans réflexion et attentive circonspection, mais montrez d’abord de dignes fruits de pénitence. Passez quelques temps dans une vie pure et alors, vous obtiendrez la rémission des péchés. »
Ici se manifeste la conviction que le baptême n’aurait aucune puissance pour ceux qui ne feraient pas pénitence.
Dans une homélie sur le Lévitique :
« Vous qui désirez recevoir le saint Baptême, d’abord, vous devez être purifiés par la foi. Vous devez d’abord, par l’audition du Verbe de Dieu, enlever les racines des vices, apaiser vos habitudes barbares, pour que, ayant revêtu l’humilité et la douceur, vous puissiez recevoir la grâce du Saint Esprit. »
Mais Origène insiste aussi sur l’efficacité du sacrement lui-même pour aider à cette conversion. Il dit ceci, dans le commentaire sur Saint Jean :
« Il faut savoir que, de même que les forces étonnantes qui se manifestent dans les guérisons opérées par le Sauveur … … furent néanmoins efficaces dans leur réalité physique, en appelant à la foi ceux qui avaient reçu la grâce, de même aussi le bain de la purification par l’eau, symbole de la purification de l’âme lavée de toute souillure et de toute malice, est principe et source des grâces divines, tout autant que la vertu des invocations à la Trinité adorée, pour celui qui s’offre à la divinité. »
Une autre partie importante de l’enseignement du catéchiste était d’ouvrir les intelligences, d’instruire les esprits à la compréhension des mystères. C’était la partie la plus difficile. Ceci explique pourquoi Origène, qui était lui-même catéchiste de profession, a écrit autant de commentaires sur les Ecritures : à l’origine il écrit pour instruire ses propres catéchumènes.
Un troisième but de cet enseignement catéchétique tel qu’il est montré dans Origène, est d’abandonner les rites païens, et de se libérer des puissances de l’enfer, du démon. Le baptême est une libération. Comme nous l’avons remarqué plus haut, on considérait que les dieux grecs et romains étaient des démons déguisés qui tenaient l’humanité dans leurs filets. Il fallait donc s’en libérer, et surtout, se libérer des pratiques qu’on avait pu avoir dans cette religion. C’était un acte important, lié d’ailleurs à une autre idée : libérés des liens de l’enfer, les chrétiens entraient dans le royaume du Christ. Et ce royaume, cette union à l’Eglise, était l’aboutissement de tout le catéchisme, et quasiment l'ultime enseignement donné avant le baptême. On enseignait aux catéchumènes que le baptême allait les unir à l’Eglise, union véritable, presque comme des noces, au point que, dans une homélie sur la Genèse, Origène leur dit ceci :
« Dans l’Ancien Testament, c’était auprès des puits et de leurs eaux que l’on se rendait pour trouver des épouses (allusion à Rachel et à Rebecca), et maintenant, c’est dans le bain de l’eau que l’Eglise s’unit au Christ. »
En se plongeant dans le puits du baptistère, l’âme chrétienne devient l’épouse du Christ. L’enseignement se terminait donc par cet aspect mystique du sacrement.
(...à suivre...)
[1] Saint Hippolyte de Rome et son œuvre : L’auteur connu sous le nom d’Hippolyte de Rome (170-235) est en fait un Grec, originaire d'Alexandrie, et ancien élève d'Irénée de Lyon. On l’a longtemps confondu avec un prêtre de Rome de la même époque qui entra en conflit avec le pape Calixte Ier. Son écrit le plus important, La Tradition Apostolique, est un témoin capital pour la liturgie, dans les années 200-230. Quand on cite un auteur au sujet de la liturgie, il faut toujours penser qu’il décrit des usages établis bien avant lui, généralement depuis une cinquantaine d’années auparavant. Les usages dont nous allons parler sont sans doute ceux du tournant du 3ème siècle, des années 180 à 210 ; cette période est très importante dans l’histoire de l’Eglise, car elle voit l’apparition de l’Eglise presque officielle : on en parle, ce n’est plus aussi secret ; il y a beaucoup de chrétiens ; les persécutions continuent mais deviennent plus « ciblées », et le christianisme est alors un phénomène connu dans tout le monde méditerranéen et même au-delà. La situation des chrétiens vis-à-vis de l’Etat va changer, et l’Etat aussi va changer d’opinion à leur sujet.
[2] Danielou J., Origène, Paris, 1948-2012, Cerf. - ISBN 9782204098489