La Liturgie baptismale (2)

4. Le Baptême aux temps apostoliques (1er et 2ème siècles)

Pour parler du baptême des premières générations chrétiennes, on doit surtout faire références aux écrits de Saint Justin le Philosophe. Mais nous sommes aussi renseignés sur la manière dont le baptême était administré au premier siècle par un certain nombre de textes : les lettres des Pères apostoliques, la Didaché, et par les écrits, plus tardifs, de Saint Augustin.

Saint Justin était un Juif hellénisé, né vers l’an 100, à Naplouse (Aelia Neapolis), l’ancienne Sichem, en Samarie ; devenu philosophe – philosophe platonicien–, il s’est converti au christianisme. Il fait partie de ce qu’on appelle les apologistes, c’est-à-dire qu’il écrit pour défendre le christianisme contre ses détracteurs, tant juifs que grecs. Après avoir écrit trois livres (Le dialogue avec Triphon, et les deux Apologies) on sait qu’il fut arrêté, condamné et décapité en l’an 165 sous le règne de l’empereur Marc-Aurèle. L’Eglise le fête le 13 avril.

Le dialogue est une forme littéraire très appréciée des philosophes. Le dialogue avec Triphon, est un dialogue fictif, entre le philosophe Justin, et un rabbin juif nommé Triphon. Le philosophe essaie de convaincre Triphon que les prophètes n’ont fait qu’annoncer le Christ. Dans ces trois livres, Justin cite de temps à autres les gestes que les chrétiens font, et en particulier pour le baptême.

Dans la Première Apologie [§ 61,1-8] :

« Nous vous exposerons maintenant, comment, renouvelés par le Christ, nous nous consacrons à Dieu. Si nous omettions ce point dans notre exposition, nous paraitrions être en faute. Ceux qui croient à la vérité de notre enseignement, et de notre doctrine, promettent d’abord de vivre selon cette loi. Alors, nous leur apprenons à prier, et à demander à Dieu, dans le jeûne, la rémission de leurs péchés. Et nous-mêmes, nous prions et nous jeûnons avec eux. Ensuite, nous les conduisons dans un endroit où il y a de l’eau. Et là, de la même manière que nous avons été régénérés nous-mêmes, ils sont régénérés à leur tour. Au nom de Dieu le Père, maître de toutes choses, et de Jésus-Christ notre Sauveur, et du Saint-Esprit. Ils sont alors lavés dans l’eau, car le Christ a dit :  ‘Si vous ne renaissez pas, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux’. Il est bien évident pour tout le monde que ceux qui sont nés une fois ne peuvent pas entrer à nouveau dans le sein de leur mère… »

Nous retrouvons ici un schéma identique à celui décrit par le baptême du ministre de Candace. D’abord, « Ceux qui croient à la vérité de nos enseignements, promettent de vivre selon cette loi. » La rectitude de vie était nécessaire. On faisait des enquêtes pour savoir si les catéchumènes avaient une vie droite et si leurs actes étaient en conformité avec leur foi.

« Alors, nous leur apprenons à prier, et nous-mêmes, nous prions et nous jeûnons avec eux. » Nous avons ici une idée de ce que sera le catéchuménat un siècle plus tard.

« On les conduit là où il y a de l’eau » ; on les baptise.

Et la formule baptismale est fidèlement celle décrite dans Mt 28, cent ans après les débuts de l’Eglise. Dans cette période de clandestinité, il n’y avait pas de baptistère, Dieu a bien fait les choses. Il a fait apparaître le christianisme dans le monde romain. Et le monde romain était un peu maniaque de propreté ; la plupart des maisons possédaient une piscine, et ceux qui n’en avaient pas, pouvaient aller aux bains publics. Il y avait donc une grande quantité de lieux où l’on pouvait se tremper dans l’eau. Il y avait aussi les rivières, la mer, les lacs. Les premières communautés se réunissaient souvent dans les maisons privées des membres les plus riches, et, dans ces maisons, il y avait presque toujours une piscine.

Encore dans la Première Apologie [§61,11-16] :

« Voici la doctrine que les Apôtres nous ont transmis sur ce sujet (le baptême) : Dans notre première génération, nous naissons, sans le savoir et par nécessité, d’une semence humide grâce à l’union mutuelle de nos parents. Nous vivons ensuite avec des habitudes mauvaises et des inclinations perverses. Pour que nous ne restions pas ainsi les enfants de la nécessité et de l’ignorance, mais de l’élection et de la science (la connaissance), pour que nous obtenions la rémission de nos fautes passées, on invoque, dans l’eau sur celui qui veut être régénéré et se repend de ses péchés, le nom de Dieu, Père et Maître de l’Univers. Cette dénomination seule est précisément celle que prononce le ministre qui conduit au bain celui qui doit être lavé. » … …

« Cette ablution s’appelle illumination, parce que ceux qui reçoivent la doctrine ont l’esprit empli de Lumière. Et celui qui est illuminé est lavé au nom de Jésus le Christ, qui fut crucifié sous Ponce Pilate, et au nom du Saint-Esprit qui annonça par les prophètes toute l’histoire de Jésus. »

[62, 1-2] « Les démons connaissaient les prophéties qui annonçaient le baptême, aussi voulurent-ils qu’on n’entrât dans leur temple, et qu’on ne se présentât devant eux pour leur offrir des libations et des sacrifices, qu’après s’être purifié. »

« Bien plus, ils ordonnent qu’on prenne un bain pour aborder les sanctuaires où ils résident. »

Dans ce passage on comprend que les premiers chrétiens avaient été contrés par des arguments disant, par exemple : vous n’êtes pas les premiers à avoir inventé le bain purificateur ! Il y avait dans les religions païennes, des quantités de gens qui se baignaient rituellement[1].

Evidemment, ce qui différencie le baptême de tout autre bain rituel, c’est ce qui a été évoqué précédemment : la profession de foi qui l’accompagne. L’argument de Justin est simple : sachant à l’avance que le Christ allait inventer le Baptême, ils ont prescrit eux-mêmes des purifications par l’eau, par imitation. Les dieux païens sont des démons qui ont la préscience de ce qu’il faut faire.

Un autre passage met en rapport le baptême et l’eucharistie car on ne séparait pas ces deux sacrements :

[65,1-3]« Quant à nous, après avoir lavé celui qui croit et s’est adjoint à nous, nous le conduisons dans ce lieu où sont assemblés ceux que nous appelons nos frères. » (Il est introduit au sein de l’Eglise.)  « Nous faisons avec ferveur des prières communes, pour nous, pour l’illuminé, pour tous les autres, en quelque lieu qu’il soit, afin d’obtenir la connaissance de la vérité, la grâce de pratiquer la vertu, et de garder les comman­dements, et de mériter ainsi le salut éternel. Et quand ces prières sont terminées, nous nous donnons le baiser de paix. Puis, on apporte à celui qui préside l’assemblée des frères, du pain, et une coupe de vin mêlé d’eau. Il les prend ; il loue et glorifie de Père de l’univers par le nom du Fils et du Saint Esprit … ».

On célèbre donc les mystères, et il y a la communion, et il est très clair que déjà au 2ème siècle le baptême n’était pas administré en dehors de la liturgie eucharistique.

[66,1]« Nous appelons cet aliment « eucharistie », et personne ne peut y prendre part s’il ne croit à la vérité de notre doctrine, s’il n’a reçu le bain pour la rémission des péchés, et la régénération… »

L’eucharistie est réservée à ceux qui ont été baptisés. Une fois encore, on remarque que Justin insiste sur le fait qu’il faut croire à la vérité d’abord, et recevoir le bain ensuite ; et les deux choses sont toujours présentes.

Dans le dialogue avec Triphon, un passage montre bien ce que les premières générations chrétiennes comprenaient quand elles parlaient du baptême :

« Elisée jeta un morceau de bois dans le fleuve du Jourdain. Il enleva ainsi le fer de la hache avec laquelle les fils des prophètes étaient venus couper du bois, destiné à bâtir la maison dans laquelle ils voulaient répéter et méditer les lois des préceptes du Seigneur. »

Dans le 2ème livre des Rois, on raconte qu’un des fils des prophètes avait perdu la fer de sa hache, qui était tombé dans le fleuve ; pour le secourir, le prophète Elisée avait plongé dans le fleuve le manche qui restait, et, miraculeusement, le fer s’était remmanché. De même, le Christ nous a rachetés en nous plongeant dans les eaux baptismales.

Après ces citations il est possible de brosser un tableau général de l’administration du baptême à cette haute époque. On sait fort peu de choses avec certitude, mais, grâce à Saint Justin, avec un peu de réflexion et en s’aidant d’autres textes des pères Apostoliques, nous pouvons dire ceci :

– Le baptême est administré régulièrement après un enseignement plus ou moins long, après une certaine enquête. On enquête auprès des voisins, auprès des gens qui vivent dans l’entourage des catéchumènes. Il s’agit d’adultes à cette époque, bien que le baptême des enfants, contrairement à une idée reçue, se soit fait, comme nous le verrons, très tôt dans l’histoire de l’Eglise.

– Après un enseignement précis, après une profession de foi, on reçoit les catéchumènes[2] au baptême, et ceci se passe toujours immédiatement avant la célébration eucharistique ; l’imposition des mains et l’onction d’huile sainte – semble-t-il – se font en même temps. Les trois sacrements de l’initiation chrétienne, qui sont le baptême, la chrismation, et la communion eucharistique, ne sont pas séparés dans le temps.

– Le catéchuménat, la période d’enseignement, n’est pas organisé de façon précise. Le contenu de l’enseignement porte essentiellement sur les grands mystères du salut en Jésus-Christ, selon une méthode qu’on appelle le kérygme[3] : les images et les types de l’Ancien Testament sont expliqués à la lumière de la vie du Christ. On applique au Christ les prophéties des prophètes.

Les baptêmes ont lieu généralement dans des maisons privées ou des rivières. Nous n’avons aucune indication précise pour cette époque de la période de l’année où l’on baptisait, mais on sait qu’au siècle suivant, on ne baptisera qu’une fois dans l’année, le soir du samedi saint. Il est vraisemblable que c’était déjà le cas au 2ème siècle, et qu’il s’agit de la plus ancienne des coutumes. Les plus anciens rituels, ceux de l’Eglise copte, qui datent du 3ème siècle, sont formels à ce sujet : on baptise exclusivement le samedi saint. Par la suite, on a élargi la période pendant laquelle où on pouvait baptiser pour des raisons évidentes : il y avait de plus en plus de candidats au baptême, et l’on ne pouvait pas baptiser tout le monde le même soir.

 

(à suivre...)

 

[1] C’est encore le cas aujourd’hui dans l’indouisme où les fidèles viennent se baigner dans le Gange.

[2]  remarquons que « catéchumène » signifie exactement « celui qui a été enseigné »

[3] du grec kerygma « proclamation à haute voix »  cf.  https://fr.wikipedia.org/wiki/K%C3%A9rygme

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