La liturgie baptismale (4)

Le Baptême aux 3ème et 4ème siècles (suite)

Pour l’Eglise de Rome au 3ème siècle nous avons un texte important et précieux : « La tradition apostolique » de Saint Hippolyte de Rome.

On trouve dans ce texte (chapitres 15 à 21)  la description complète du catéchuménat, des gestes et des rites, qui se font à Rome en particulier, vers 230, ainsi que la manière par laquelle on administrait le baptême.

Saint Hippolyte dit d’abord comment on s’inquiète sur les nouveaux candidats. Des enquêtes discrètes sont faites ; on les interroge avec des questions très précises, sur leur profession.  Par exemple :

(16) « Si quelqu’un est tenancier d’une maison de prostitution, il cessera, ou on le renverra. » « La concubine de quelqu’un, si elle est son esclave, si elle a élevé ses enfants, et vit seule, pourra entendre la parole. » (Elle ne peut être considérée comme une femme légitime du fait de son état d’esclave) « L’homme qui a une concubine cessera, et prendra femme selon la loi. S’il refuse, il sera renvoyé. »[1]

 Cette sévérité allait jusqu’au maître d’école, car il enseignait les fables de la littérature païenne… Les mages, les astrologues, les charlatans, les devins, les interprètes de songes… tout cela, on n’en veut pas !

(17) « Ensuite, les catéchumènes entendront la parole de Dieu pendant trois ans : cependant, si quelqu’un est zélé et s’applique bien, on pourra abréger ce temps ».  « Quand le docteur a cessé de faire la catéchèse, les catéchumènes prieront dans un lieu à part dans l’église, qu’il s’agisse de fidèles ou de catéchumènes. Quand ils auront fini de prier, ils ne se donneront pas le baiser de paix, car leur baiser n’est pas encore saint. Quand la prière sera terminée, le docteur imposera la main sur les catéchumènes, puis il priera et les renverra.  Que celui qui enseigne soit clerc ou laïc, il fera ainsi. »

Après cette prière, le catéchiste imposait les mains sur chaque catéchumène en disant une prière sur chacun d’eux. Cette imposition des mains va perdurer jusqu’à nos jours dans le rituel du baptême. Cet enseignement n’est donc pas un cours universitaire. Plus tard, il ne durera plus trois ans, car il y aura trop de monde, et l’on réduira ce temps à quarante jours.

A l’origine, chaque fois qu’on avait appris quelque chose, on priait et on faisait l’imposition des mains. Et, comme cela durait ainsi très longtemps, saint Hippolyte fait cette remarque :

(19)  S’il (le catéchumène) est arrêté avant la fin, ou inquiété par la police du fait qu’il est futur chrétien, qu’il ne s’inquiète pas, si on lui fait violence, et même s’il est tué alors que ses péchés n’ont pas encore été remis ; il sera justifié, car il a reçu le baptême dans son sang. »

Trois ans c’est très long, il fallait donc rassurer les catéchumènes.

(20) « Quand on choisit ceux qui vont recevoir le baptême, on examine leur vie. »

Cette phrase demande une petite explication.

En latin, « choisis » se dit « electi » = être élu. Il y avait un vote. D’ailleurs, ce nom est demeuré : la catégorie la plus élevée des catéchumènes s’appelait les illuminés, ou les élus.  Il semble bien qu’à l’origine, il y avait une véritable élection, c’est-à-dire qu’on demandait à la communauté : « Est-ce que vous pensez qu’untel est prêt à recevoir le baptême ? ». Et l’on devait plus ou moins voter.

Après cela, on examine leur vie : deuxième enquête ! Il y avait eu une enquête avant le catéchuménat. Cette seconde enquête est extrêmement sérieuse et précise. On pose des questions comme :

« - Ont-ils vécu honnêtement pendant qu’ils étaient catéchumènes ?

- Ont-ils honoré les veuves ?

- Ont-ils visité les malades ?

- Ont-ils fait toutes sortes de bonnes œuvres ?

- Si ceux qui les ont amenés rendent un bon témoignage, ils entendront l’évangile. »

On pose des questions aux gens des alentours, et aux parrains. Si tout va bien, on leur fait entendre l’Evangile. On leur remet même le texte des évangiles. C’est alors la première fois qu’ils sont en contact direct avec l’évangile. Ne pas le donner à tout le monde était une précaution importante, parce que, en 251, l’empereur Dèce[2] décrète qu’on lui remette, pour qu’ils soient brûlés, tous les textes des Ecritures Saintes. On les gardait donc clandestinement, et on ne pouvait pas les communiquer au premier venu. Il y avait trop de risques. Ce n’était pas seulement parce qu’ils n’étaient pas dignes, pas préparés personnellement, mais aussi par précaution.

A partir du moment où on leur remet l’Evangile, les catéchumènes « élus » sont mis à part, et on leur imposera les mains tous les jours en les exorcisant.

« Quand approche le jour où ils vont être baptisés, l’évêque exorcisera chacun d’eux, pour savoir s’il est pur. Si quelqu’un n’est pas bon, ou n’est pas pur, on l’écartera parce qu’il n’a pas entendu la parole avec foi ; car il est impossible que l’étranger se dérobe toujours. »

L’étranger, c’est le démon. C’est ainsi qu’on l’appelle pour éviter de prononcer son nom. Il est vraisemblable que ces exorcismes multiples étaient là pour tenter de faire sortir le démon, de le faire se manifester ; et s’il était toujours présent, il finissait par se manifester à un moment ou à un autre. Il est intéressant de remarquer que c’est l’évêque[3] en personne qui procède au dernier exorcisme, et qui a, en quelque sorte, le mot de la fin pour savoir si le catéchumène est prêt pour le baptême ou non. C’est l’évêque qui a le discernement final.

Les élus, avant leur baptême, sont avertis qu’ils se baignent et qu’ils se lavent le jeudi précédant le baptême, c’est-à-dire le jeudi de la semaine sainte. Pourquoi ? Parce qu’ils vont faire le jeûne pendant trois jours, et que pendant le jeûne, on ne se rend pas aux thermes.

« On les réunit tous en un même lieu, et on leur ordonnera à tous de prier et de fléchir les genoux en leur imposant la main, et l’évêque adjurera à tout esprit étranger de les quitter et de ne pas revenir en eux.  Quand il aura cessé d’exorciser, l’évêque soufflera sur leur visage, et dira Ephata (Ouvre-toi) »

Ce geste qui perdure encore dans le rituel actuel du baptême existe donc déjà  au 3ème siècle, mais il est difficile d’en connaitre l’origine. On agit ainsi sans doute par  imitation de certains gestes du Christ, en particulier celui du miracle du sourd-muet, où le Christ met les doigts dans les oreilles et sur la langue du sourd-muet en lui disant « Ephata » « Ouvre-toi ». Car effectivement, saint Hippolyte nous dit immédiatement « Et après leur avoir signé le front, les oreilles, et les narines, ils les feront se relever. »

Ils passent ensuite toute la nuit à veiller « on leur fera des lectures et on les instruira. » C’est la vigile de Pâques, la Grande liturgie pascale, pendant laquelle il y aura, au siècle suivant, 12 lectures, 12 grandes prophéties. « Au moment où le coq chante, on priera tout d’abord sur l’eau. » Vers la fin de la nuit – au chant du coq – on se tourne vers la fontaine baptismale. « Que ce soit de l’eau qui coule dans la fontaine, ou qui coule d’en haut ». Là, Hippolyte précise qu’on peut avoir, soit de l’eau qui coule, qui vient dans la piscine baptismale, ou bien que ce soit une vraie fontaine, avec un bassin en dessous, comme une douche. Les deux sont admis, et dans les deux cas, il s’agit d’eau courante[4].

« Mais s’il y a une nécessité permanente et urgente, on se servira de l’eau qu’on trouve. »

« Tous ceux qui peuvent parler par eux-mêmes parleront, quant à ceux qui ne le peuvent pas, leurs parents parleront pour eux, ou quelqu’un de leur famille. »

Les parrains et les marraines n’ont pas de rôle liturgique ; ce sont les garants. Ils auront à partir du 5ème siècle un rôle d’éducateur après le baptême.

« Au moment fixé pour le baptême, l’évêque rendra grâce sur de l’huile qu’il mettra dans un vase. On l’appelle l’huile d’action de grâce. Il prendra aussi une autre huile qu’il exorcisera et on l’appellera huile des exorcismes. Un diacre prend l’huile des exorcismes et se place à gauche du prêtre ; un autre diacre prend l’huile d’action de grâce et se place à droite du prêtre. Le prêtre prenant chacun de ceux qui reçoivent le baptême (ils ne sont pas encore descendus dans l’eau), lui ordonnera de renoncer en disant : « je renonce à toi, Satan, à toute ta pompe et à tes œuvres. »

Les dieux païens étaient considérés par les premiers chrétiens comme des démons, des manifestations de Satan lui-même. Le fait d’avoir été sectateur, c’est-à-dire d’avoir pratiqué la religion païenne, qui était surtout une religion naturelle et une religion d’Etat, c’était être sous l’emprise de Satan. Il fallait donc renoncer publiquement à ces pratiques qui étaient plus ou moins superstitieuses : ce qu’on appelle la pompe, la liturgie païenne, les mystères païens. On devait renoncer à l’idolâtrie, à sa liturgie et à ses œuvres : les pratiques superstitieuses, la sorcellerie, la divination etc.

« Les catéchumènes se dévêtiront, et on baptisera en premier les enfants[5]. » 

« Ensuite, on baptisera les hommes, et enfin les femmes après qu’elles auront dénoué leurs cheveux et déposé leurs bijoux. En effet, que personne ne prenne sur soi d’objet étranger pour descendre dans l’eau. »

Pour descendre dans l’eau, il faut être nu ; pas d’objet étranger, pas d’amulettes…

« Après que tout le monde ait dit « Je renonce », le prêtre oint le catéchumène d’huile en disant « Que tout esprit mauvais s’éloigne de toi », et, de cette manière, il le confiera nu à l’évêque et aux prêtres qui se trouvent près de l’eau pour baptiser. »

A propos de l’onction d’huile, il semble bien que le corps tout entier était oint d’huile. Pourquoi cette onction ? Tout d’abord, à cause du symbole : l’huile, c’est la miséricorde. En grec, to elayon [Το έλαίον], l’huile (d’olive) est en rapport phonétique (et sémantique) avec le verbe eleèo [έλεεω], faire grâce, avoir compassion, l’huile est le symbole de la miséricorde qui vous couvre entièrement. Et cela rappelait aussi une pratique des thermes, où, avant le bain, on vous enduisait d’huile et de sable fin dans ces pays où le savon n’existait pas. Ensuite on allait au bain de vapeur, on se raclait avec un petit racloir, et après seulement on se baignait dans l’eau chaude. C’était ainsi qu’on se lavait. Il y a donc un rappel implicite : le baptême est un bain purificateur, où on se lave non seulement le corps mais l’âme et l’esprit.

 

[1]  Ces citations sont extraites du texte traduit et publié par Dom Bernard Botte (Cerf, SC n° 11bis, Paris, 1968)

[2] Gaius Messius Quintus Trajanus Decius empereur romain de 249 à 251.

[3] Il faut ici rappeler qu’à cette haute époque chaque « communauté » chrétienne est présidée par un évêque, qui est à la fois le père, le pasteur, le docteur et le chef de la communauté ; quand les communautés devinrent trop nombreuses les évêques déléguèrent certaines de leurs fonctions à des prêtres.

[4] Dans le Baptistère de Poitiers, il y avait de l’eau toujours renouvelée par une circulation. On bénissait l’eau, on y versait quelquefois les saintes huiles, mais la bénédiction demeurait, bien que l’eau fut renouvelée en permanence.

[5] Ce qui prouve que, dès cette époque, on baptisait les enfants. Toutefois il ne s’agissait pas de nourrissons.

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